- LI SIXUN
- LI SIXUNL’historiographie traditionnelle assigne à Li Sixun une place très importante dans le développement de la peinture chinoise: on considère qu’il fut le premier à ériger le paysage en genre véritablement autonome. Il faut observer toutefois que s’il a contribué de façon décisive à consacrer le paysage comme une discipline majeure, sa conception restait essentiellement celle d’un art de cour, empesé dans sa rutilance ornementale. Pour cette raison, son œuvre n’a finalement exercé qu’une action limitée sur l’orientation ultérieure du paysage; celui-ci ne trouvera sa véritable définition qu’avec les artistes de la génération suivante Wang Wei et Zhang Zao, qui en feront un mode d’expression lyrique, intime et subjectif à l’usage individuel des lettrés.Un peintre appartenant à la noblesse impérialeLi Sixun, qui était le petit-fils d’un neveu du fondateur de la dynastie Tang, accéda d’emblée aux honneurs officiels. Il disparut prudemment de la scène durant le règne de la redoutable impératrice Wu Zetian qui avait entrepris de massacrer tous les membres du clan impérial. Après ce tragique intermède, il recouvra ses anciennes dignités et termina sa carrière avec le titre de général d’un corps de la garde impériale; pour cette raison les historiens chinois le désignent souvent sous le nom de général Li aîné, tandis que son fils Zhaodao, également célèbre pour sa peinture, est surnommé le général Li cadet – encore que ce dernier n’ait jamais occupé que des fonctions civiles relativement mineures.En son temps, la peinture de Li Sixun jouit d’une grande notoriété. Mais, dès l’époque Song, il était déjà difficile de trouver ses œuvres: l’empereur Huizong, qui les recherchait avidement, ne réussit plus à regrouper que dix-sept pièces – toutes disparues depuis. Sous Qianlong, la collection impériale s’enrichit d’un paysage Barques et résidence riveraine qui, selon les connaisseurs, pourrait être attribué à Li Sixun, ou à tout le moins paraît refléter assez fidèlement sa manière.Li Sixun et Li ZhaodaoLi Sixun était l’aîné d’une dynastie familiale de cinq artistes, parmi lesquels se signala surtout son fils, Li Zhaodao. Les jugements des critiques anciens ne sont pas unanimes dans l’évaluation des mérites respectifs du père et du fils; on prête généralement à ce dernier une moindre puissance, mais un charme plus subtil. Sans doute Zhaodao aura-t-il renchéri sur la tendance qu’avait Sixun à la minutie décorative, pour développer une peinture encore plus délicate et d’une conception plus fragmentée: ces caractères peuvent se retrouver dans deux œuvres que l’on rattache généralement à sa manière, la Fuite de l’empereur Xuanzong au Sichuan et la Promenade dans les montagnes au printemps (toutes deux dans la collection de l’Ancien Palais, actuellement à Taiwan; il s’agit en fait de deux versions inspirées d’un même modèle).Un art de courUne anecdote célèbre décrit la compétition à laquelle se seraient livrés Wu Daozi et Li Sixun chargés par l’empereur Xuanzong de peindre chacun une fresque représentant la route du Sichuan; Wu s’acquitta de sa commande en un jour, tandis que Li mit plusieurs mois à exécuter son ouvrage. Comme c’est le cas pour la plupart de ces anecdotes exemplaires, l’épisode n’a rien d’historique (il serait survenu vingt-cinq ans après la mort de Li, anachronisme qui semble n’avoir d’ailleurs jamais gêné les biographes!). Mais il n’en est pas moins instructif si on l’interprète dans un sens symbolique, comme une façon imagée de caractériser deux approches, deux styles diamétralement opposés – calligraphique et elliptique pour Wu, décoratif et minutieux pour Li.On sait d’autre part que Li cultivait principalement la technique picturale dite «or et azur» (jinbi ), laquelle, avec ses irréels rehauts de verts et de bleus et ses contours poudrés d’or, dote le paysage d’une sorte de raideur ornementale. Exécutée sur une soie spécialement préparée et encollée, propre à supporter une riche couverture colorée, cette peinture splendide et compassée était directement adaptée aux goûts de la Cour. Cette manière ne connaîtra cependant pas de notables prolongements, car dans la suite, sous l’impulsion d’artistes tels que Wang Wei et Zhang Zao, le paysage se dépouillant de ses couleurs cessera d’être un objet décoratif pour tendre au contraire à exprimer par le seul moyen de l’encre tous les impondérables d’une expérience intérieure. La technique «or et azur» ne sera pourtant pas entièrement abandonnée: à toutes les époques, des artistes y recourront de façon occasionnelle, soit par jeu archaïsant, soit pour satisfaire des commandes officielles de larges ouvrages décoratifs – ainsi Zhao Boju à l’époque Song, Qiu Ying sous les Ming, et Yuan Jiang à l’époque Qing.«Barques et résidence riveraine»Pour évaluer l’importance relative du rôle joué par Li Sixun, la peinture Barques et résidence riveraine reste encore le point de référence le plus concret. Les antécédents directs de cette peinture remontent à Zhan Ziqian, éminent artiste de l’époque Sui qui, rompant avec le système de proportions symboliques des Six Dynasties, avait inauguré un rapport de proportions naturalistes entre les divers éléments de la composition (figures, architectures et paysage). L’aspect novateur de cette peinture réside moins dans son langage formel, encore très fidèle à la linéarité traditionnelle, que dans l’inversion des relations hiérarchiques entre figures et architectures d’une part, paysage de l’autre. Le paysage cesse d’être une simple toile de fond et devient le sujet principal de l’œuvre. Avec des moyens encore très simples mais puissamment suggestifs – une diagonale qui divise la composition entre un espace peint et la fuite illimitée d’un espace vide – l’artiste réussit pour la première fois à évoquer la densité foisonnante de l’univers naturel, et à ouvrir sa peinture sur l’infini.
Encyclopédie Universelle. 2012.